Sur Internet, il existe un univers parallèle où le coronavirus aurait été fabriqué en secret par l’Institut Pasteur, afin d’aider le complot du milliardaire Bill Gates qui voudrait soumettre la population mondiale à l’aide des vaccins et des ondes 5G… Un univers où la logique et la raison ne s’appliquent plus, et où seules subsistent les peurs irrationnelles et l’indignation permanente ; cet univers, c’est celui des théories du complot. (paru dans SAY 5, 3e trim. 2021)
Certains pourraient penser que le terme « complotisme » n’est qu’une manière de marginaliser des opinions divergentes, mais c’est une erreur fondamentale ; il s’agit d’un véritable mode de pensée, défaillant, qui nous pousse à imaginer automatiquement une intention malveillante cachée derrière chaque événement important. Bien entendu, la rumeur populaire a toujours existé, et les mythes et légendes urbaines ont jalonné l’histoire humaine. Au Moyen-Âge déjà, les populations européennes accusaient volontiers les juifs de leur avoir apporté la peste, dans le but secret de détruire la chrétienté.
De même, les complots n’ont rien d’aberrant historiquement : les luttes de pouvoir et la manipulation d’opinion sont des pratiques humaines bien établies. On pense ainsi au scandale du Watergate en 1974, ou au mensonge des armes de destruction massive en Irak en 2003.
Mais le monde moderne a permis l’émancipation d’un complotisme débridé et ancré dans la culture populaire, au travers de plusieurs étapes l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy en 1963 et ses nombreuses théories du complot contradictoires dans la littérature américaine, les attentats du 11 septembre 2001 et leur ampleur mondiale aidée par l’émergence d’Internet, le développement des réseaux sociaux instantanés, et enfin la crise du coronavirus en 2020.
Côté médias, la contre-argumentation est d’abord effectuée par de simples collectifs citoyens, comme Hoaxbuster en 2000 et Conspiracy Watch en 2007. Dès 2014, le journal Le Monde prend conscience de l’ampleur du problème et crée sa propre rubrique de vérification des faits, « les Décodeurs ». En 2016, les votes inattendus en faveur du Brexit et de Trump ont bouleversé le monde de l’information, qui a vu arriver les « alternative facts » et la « post-vérité », ouvrant une ère nouvelle où chaque individu peut se construire facilement sa propre vérité. Les grands médias finissent alors par tous se doter de leur rubrique de vérification des faits, comme Checknews pour Libération, Fake Off pour 20 Minutes, ou encore Factuel pour l’AFP, tous créés en 2017.
Qui diffuse ces théories en France ?
Les acteurs sont diversifiés. On trouve d’abord de simples citoyens en colère, qui donnent leur avis, parfois malheureux : sur Facebook en mars 2020, un utilisateur s’était ainsi filmé dans sa cuisine, en fustigeant l’Institut Pasteur pour avoir créé le coronavirus, évoquant un brevet de 2004 trouvé sur Internet. Le brevet n’avait rien à voir avec le SARS-CoV-2, et l’Institut Pasteur avait porté plainte pour diffamation. Mais il existe aussi un complotisme professionnalisé, qui peut rapporter gros. Le documentaire Hold-up a récolté plus de 300 000 € de dons, pour expliquer à la fois que le coronavirus a été créé en laboratoire pour réduire la population, mais qu’il n’est pas aussi dangereux qu’on le dit.
Il y a bien sûr des médias sensationnalistes spécialisés dans ce genre de désinformation, tels que le blog « France Soir », du nom de l’ancien journal respectable qui existait naguère. Il a fait parler de lui pendant la crise du coronavirus, en prenant position contre les mesures sanitaires et les vaccins. On trouve aussi des médias étrangers qui exercent leur soft power informationnel, tels que RT ou Sputnik, qui sont des médias d’influence de l’opinion publique étrangère, fondés et pilotés par le Kremlin à travers son agence de communication « Россия Сегодня » (Russie d’aujourd’hui). Des médias plus traditionnels peuvent aussi diffuser des théories du complot sans le vouloir, en invitant des experts douteux, comme l’ancien prix Nobel de 88 ans Luc Montagnier qui s’était laissé aller à divaguer sur l’effet des antennes 5G sur la Covid-19 sur le plateau télé de CNews.
Des influenceurs francophones comme Alexis Cossette, Silvano Trotta ou les « DeQodeurs » ont retransmis aussi les récits et prédictions QAnon en provenance des États-Unis, avec une audience surprenante en France, malgré l’échec systématique desdites prédictions (portant sur une soi-disant « tempête » à venir où Trump reprendrait le pouvoir et ferait arrêter ses opposants pour trahison et pédophilie satanique).
Il y a certes différents degrés dans l’esprit conspirationniste et il serait une erreur de l’assimiler systématiquement à des récits aussi aberrants que QAnon ou la théorie de la Terre plate. Cependant, cela reste un problème. Si une partie du peuple se base sur une vision fausse de la réalité pour prendre ses décisions, cela peut être néfaste. On pense à l’attaque du Capitole américain par quelques dizaines de militants fanatisés de QAnon à Washington le 6 janvier dernier. Même si les autorités politiques et médiatiques ont mis du temps à réagir, elles ont amorcé des mesures concrètes qui vont dans le sens d’une information plus saine et plus fiable. Le CLEMI (centre pour l’éducation aux médias et à l’information) est très actif dans la promotion de l’éducation à l’esprit critique à l’école. Depuis longtemps déjà, des vidéastes, souvent amateurs, vulgarisent l’éducation à l’esprit critique et la contre-argumentation à la rhétorique complotiste sur YouTube, tels que Defakator, Hygiène mentale ou la Tronche en Biais.
La plupart des décideurs ont compris qu’il est essentiel de ne pas basculer dans la dérive autoritariste du délit d’opinion ; cependant, le législateur a cru bon de voter une loi « anti-fake news » le 22 décembre 2018 afin de lutter contre la désinformation en temps d’élection et en provenance de pays étrangers (avec notamment les médias d’influence russes dans le viseur).
Et pour soutenir la lutte contre la désinformation, sous pression des autorités, les grands réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter ont mis en place des mesures de censure parfois drastiques, allant jusqu’à bannir le compte de Donald Trump suite aux événements du Capitole. Cette singulière fermeté semble simplement pousser les internautes vers des plateformes plus confidentielles, mais plus libres, comme Telegram, Parler, Gab ou Odyssée, qui sont devenus des nids à complots sans aucun contrôle. Malgré la multiplication des rubriques de fact-checking, la modération plus active des réseaux sociaux et les mesures d’éducation à l’esprit critique, le phénomène conspirationniste ne semble pas près de s’éteindre. Il est à craindre, comme cela se profile déjà aux États-Unis, une division profonde de la société française, par une perte de repères des citoyens dans leur rapport à la réalité. •
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Personne ne sait quelle tournure prendra la pandémie ou si les récentes augmentations de prix seront transitoires, ce qui signifie que les prévisions économiques sont devenues encore plus hasardeuses que jamais. Néanmoins, certaines tendances doivent être surveillées de plus près que d’autres, et certaines politiques doivent être modifiées quoi qu’il arrive.
Déchirés entre les craintes inflationnistes et la peur de la déflation, les banquiers centraux des principales économies avancées adoptent une approche attentiste potentiellement coûteuse. Seule une refonte progressive de leurs outils et de leurs objectifs peut les aider à jouer un rôle post-pandémique socialement utile.
Bien que les États-Unis soient depuis longtemps à la pointe de la technologie, la Chine constitue un défi de taille dans des domaines clés. Mais, en fin de compte, l’équilibre des forces sera déterminé non pas par le développement technologique, mais par la diplomatie et les choix stratégiques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Sur plus de 10 000 espèces d’oiseaux, près d’une sur sept est actuellement menacée d’extinction. Le sort des oiseaux, qu’il s’agisse d’individus sauvages ou d’animaux de compagnie, serait plus difficile à ignorer si davantage de personnes comprenaient à quel point ils sont intelligents et complexes.
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L’ère de la « non-paix »Migrants rassemblés à l'intérieur de la zone tampon de la frontière Turquie-Grèce, à Pazarkule, dans le district d'Edirne, le 20 février 2020.
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La fin du consensus économiqueLa présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen lors de laConférence de presse sur la réponse de l'Union européenne à la crise du coronavirus, à Bruxelles, le15 avril 2020.
Alors que le choc de la pandémie de Covid-19 a initialement suscité l’unité et la convergence en Europe, la phase actuelle de la crise est beaucoup plus délicate sur le plan économique et politique. Si elle est mal gérée, elle peut rouvrir de vieilles blessures et briser la légitimité nouvellement acquise des décideurs politiques.
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Certains pourraient penser que le terme « complotisme » n’est qu’une manière de marginaliser des opinions divergentes, mais c’est une erreur fondamentale ; il s’agit d’un véritable mode de pensée, défaillant, qui nous pousse à imaginer automatiquement une intention malveillante cachée derrière chaque événement important. Bien entendu, la rumeur populaire a toujours existé, et les mythes et légendes urbaines ont jalonné l’histoire humaine. Au Moyen-Âge déjà, les populations européennes accusaient volontiers les juifs de leur avoir apporté la peste, dans le but secret de détruire la chrétienté.
De même, les complots n’ont rien d’aberrant historiquement : les luttes de pouvoir et la manipulation d’opinion sont des pratiques humaines bien établies. On pense ainsi au scandale du Watergate en 1974, ou au mensonge des armes de destruction massive en Irak en 2003.
Mais le monde moderne a permis l’émancipation d’un complotisme débridé et ancré dans la culture populaire, au travers de plusieurs étapes l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy en 1963 et ses nombreuses théories du complot contradictoires dans la littérature américaine, les attentats du 11 septembre 2001 et leur ampleur mondiale aidée par l’émergence d’Internet, le développement des réseaux sociaux instantanés, et enfin la crise du coronavirus en 2020.
Côté médias, la contre-argumentation est d’abord effectuée par de simples collectifs citoyens, comme Hoaxbuster en 2000 et Conspiracy Watch en 2007. Dès 2014, le journal Le Monde prend conscience de l’ampleur du problème et crée sa propre rubrique de vérification des faits, « les Décodeurs ». En 2016, les votes inattendus en faveur du Brexit et de Trump ont bouleversé le monde de l’information, qui a vu arriver les « alternative facts » et la « post-vérité », ouvrant une ère nouvelle où chaque individu peut se construire facilement sa propre vérité. Les grands médias finissent alors par tous se doter de leur rubrique de vérification des faits, comme Checknews pour Libération, Fake Off pour 20 Minutes, ou encore Factuel pour l’AFP, tous créés en 2017.
Qui diffuse ces théories en France ?
Les acteurs sont diversifiés. On trouve d’abord de simples citoyens en colère, qui donnent leur avis, parfois malheureux : sur Facebook en mars 2020, un utilisateur s’était ainsi filmé dans sa cuisine, en fustigeant l’Institut Pasteur pour avoir créé le coronavirus, évoquant un brevet de 2004 trouvé sur Internet. Le brevet n’avait rien à voir avec le SARS-CoV-2, et l’Institut Pasteur avait porté plainte pour diffamation. Mais il existe aussi un complotisme professionnalisé, qui peut rapporter gros. Le documentaire Hold-up a récolté plus de 300 000 € de dons, pour expliquer à la fois que le coronavirus a été créé en laboratoire pour réduire la population, mais qu’il n’est pas aussi dangereux qu’on le dit.
Il y a bien sûr des médias sensationnalistes spécialisés dans ce genre de désinformation, tels que le blog « France Soir », du nom de l’ancien journal respectable qui existait naguère. Il a fait parler de lui pendant la crise du coronavirus, en prenant position contre les mesures sanitaires et les vaccins. On trouve aussi des médias étrangers qui exercent leur soft power informationnel, tels que RT ou Sputnik, qui sont des médias d’influence de l’opinion publique étrangère, fondés et pilotés par le Kremlin à travers son agence de communication « Россия Сегодня » (Russie d’aujourd’hui). Des médias plus traditionnels peuvent aussi diffuser des théories du complot sans le vouloir, en invitant des experts douteux, comme l’ancien prix Nobel de 88 ans Luc Montagnier qui s’était laissé aller à divaguer sur l’effet des antennes 5G sur la Covid-19 sur le plateau télé de CNews.
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Des influenceurs francophones comme Alexis Cossette, Silvano Trotta ou les « DeQodeurs » ont retransmis aussi les récits et prédictions QAnon en provenance des États-Unis, avec une audience surprenante en France, malgré l’échec systématique desdites prédictions (portant sur une soi-disant « tempête » à venir où Trump reprendrait le pouvoir et ferait arrêter ses opposants pour trahison et pédophilie satanique).
Il y a certes différents degrés dans l’esprit conspirationniste et il serait une erreur de l’assimiler systématiquement à des récits aussi aberrants que QAnon ou la théorie de la Terre plate. Cependant, cela reste un problème. Si une partie du peuple se base sur une vision fausse de la réalité pour prendre ses décisions, cela peut être néfaste. On pense à l’attaque du Capitole américain par quelques dizaines de militants fanatisés de QAnon à Washington le 6 janvier dernier. Même si les autorités politiques et médiatiques ont mis du temps à réagir, elles ont amorcé des mesures concrètes qui vont dans le sens d’une information plus saine et plus fiable. Le CLEMI (centre pour l’éducation aux médias et à l’information) est très actif dans la promotion de l’éducation à l’esprit critique à l’école. Depuis longtemps déjà, des vidéastes, souvent amateurs, vulgarisent l’éducation à l’esprit critique et la contre-argumentation à la rhétorique complotiste sur YouTube, tels que Defakator, Hygiène mentale ou la Tronche en Biais.
La plupart des décideurs ont compris qu’il est essentiel de ne pas basculer dans la dérive autoritariste du délit d’opinion ; cependant, le législateur a cru bon de voter une loi « anti-fake news » le 22 décembre 2018 afin de lutter contre la désinformation en temps d’élection et en provenance de pays étrangers (avec notamment les médias d’influence russes dans le viseur).
Et pour soutenir la lutte contre la désinformation, sous pression des autorités, les grands réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter ont mis en place des mesures de censure parfois drastiques, allant jusqu’à bannir le compte de Donald Trump suite aux événements du Capitole. Cette singulière fermeté semble simplement pousser les internautes vers des plateformes plus confidentielles, mais plus libres, comme Telegram, Parler, Gab ou Odyssée, qui sont devenus des nids à complots sans aucun contrôle. Malgré la multiplication des rubriques de fact-checking, la modération plus active des réseaux sociaux et les mesures d’éducation à l’esprit critique, le phénomène conspirationniste ne semble pas près de s’éteindre. Il est à craindre, comme cela se profile déjà aux États-Unis, une division profonde de la société française, par une perte de repères des citoyens dans leur rapport à la réalité. •