Les changements monétaires et sécuritaires radicaux sont les signes d’un remaniement de l’ordre mondial. La débâcle américaine en Afghanistan évoque ces moments où les empires se fissurent. Une réorganisation du pouvoir mondial semble nécessaire pour assurer la stabilité financière.
Cette année est riche de grands anniversaires pour l'histoire de l'ordre monétaire international. Le 15 août a marqué le 50e anniversaire de la « fermeture de la fenêtre de l’or » par le président américain Richard Nixon et le 21 septembre, cela fera 90 ans que le gouvernement britannique a retiré la livre du système de l'étalon-or. Bien que ces deux épisodes appartiennent à l'histoire de la monnaie, leurs implications transcendent le domaine financier. Chacun de ces évènements a marqué la disparition de tout un régime de sécurité internationale.
L'ordre mondial du XIXe siècle avait été construit autour de la puissance impériale britannique, et l'étalon-or en était le pilier financier. Ce système était soutenu par l'espoir que malgré sa suspension en temps de guerre, la fin des hostilités permette à la monnaie de retrouver sa valeur en or d'avant-guerre. Cette promesse fondée sur la valeur intemporelle de l’or agissait comme un puissant argument d’autorité, permettant à un gouvernement en guerre d'emprunter plus facilement, et donc de supporter le coût d’un conflit.
L'étalon-or ayant longtemps contribué au statut impérial de la Grande-Bretagne, le pays y est revenu après la Première Guerre mondiale. En 1931, il était devenu évident que l'abandon de l'or était nécessaire pour faire marcher la planche à billets et permettre de sortir de la Grande Dépression.
Fin de l’hégémonie Britannique
Après la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne s'est également rendu compte qu'elle ne pouvait plus maintenir sa position au centre de l'ordre sécuritaire mondial. Elle a plutôt cherché à préserver son influence en créant une nouvelle institution, la Société des Nations (SDN). Pour de nombreux Britanniques, ce précurseur des Nations unies constituait une amélioration de l'ancien système d'équilibre des pouvoirs. Il établissait un code juridique clair pour le comportement international et fixait les limites de « l’agression » d’un pays par un autre. Du point de vue du reste du monde, cependant, la Société des Nations ressemblait à un système conçu pour protéger des intérêts britanniques au rabais.
Le 18 septembre 1931, quelques jours avant que le destin de la livre sterling ne se sépare de celui de l'or, l'armée japonaise détruit la crédibilité de la SDN. En mettant en scène un incident sous faux drapeau sur la voie ferrée stratégique de Mukden (aujourd'hui la ville chinoise de Shenyang), qu'il présente comme un acte de sabotage chinois, le Japon crée un prétexte pour envahir la Mandchourie. La Société des Nations est impuissante face à ces machinations. La provocation japonaise ne fait que souligner un point soulevé par les critiques : l'agression est un concept relatif.
Liens entre monnaie et politique sécuritaire
Le « choc Nixon », lui aussi, doit être compris comme faisant partie d'un changement systémique plus large de l'ordre sécuritaire mondial. Il s'agit de la contrepartie de l’échec américain au Vietnam. Cette guerre a miné le budget américain et entraîné le passage à un financement par l’inflation, ce qui a irrité les autres pays.
L'humiliation de l'Amérique à Kaboul aujourd'hui fait penser à ces moments de l’histoire où les empires semblent s’effondrer. Comme la désintégration de la SDN dans le monde de l'entre-deux-guerres, et comme l'effondrement de la mainmise américaine au Vietnam, la reconquête de l'Afghanistan par les talibans n'a rien de surprenant. Dans chaque scénario, la fin catastrophique était prévue depuis des années.
C'est une chose que les effondrements monétaires et sécuritaires partagent. Tout le monde peut voir les fissures du système longtemps à l’avance, mais les responsables de la politique économique et sécuritaire nient leur intention d'abandonner le statu quo jusqu'au dernier moment. Lorsque l'effondrement se produit, il est nécessairement chaotique (car personne ne peut être considéré comme s'y étant préparé). La crédibilité de la puissance dominante s'évapore soudainement, et une ruée vers la sortie - de la monnaie ou du pays - s'ensuit rapidement.
Remise en cause d’un système
Les conséquences de ces épisodes peuvent être encore plus désastreuses, comme ce fut le cas pendant l'entre-deux-guerres. Lorsqu’un système s'effondre, tout un réseau d'alliances peut être immédiatement discrédité. Ainsi, l'Afghanistan est un fiasco non seulement pour l'administration américaine, mais aussi pour tous les gouvernements qui lui sont associés. Soudain, il devient beaucoup plus crédible que l'ancien système sécuritaire se fissure à d’autres endroits alors que cela semblait auparavant inimaginable. Dans le cas présent, tous les regards seront tournés vers les pays baltes et Taïwan.
Ces incertitudes créent le besoin d'un nouvel ordre politique, plus viable, plus durable et qui ne dépende pas de l'hégémon épuisé. Mais il est insensé de penser qu'il ne peut (ou ne doit) y avoir qu'un seul pôle de stabilité mondiale. Il ne fallait pas nécessairement que les États-Unis soient les seuls à prendre le relais des Britanniques au XXe siècle, et il n’est pas inéluctable que la Chine prenne la place laissée vacante par les États-Unis aujourd'hui. Il existe toujours d'autres alternatives, et la tension entre ces modèles est aussi source d’instabilité. La lutte hégémonique entre un Japon révisionniste, la Russie et l'Allemagne pendant l'entre-deux-guerres en est un exemple.
Penser un nouveau modèle
En outre, le renouvellement peut provenir des acteurs qui émergent du mouvement continuel de l’histoire. Aujourd'hui, la Covid-19 conduit toute la politique à se repenser, se réinventer. Contrairement à ce que les experts suggèrent souvent, il est loin d'être évident que la Russie ou la Chine profiteront inévitablement de l'humiliation subie par les États-Unis. L'Inde, par exemple, pourrait être amenée à jouer un rôle géopolitique majeur en Asie centrale et du Sud.
De même, avec le retrait du Royaume-Uni, la dynamique de l'Union européenne est en train d’évoluer. La France et l'Allemagne, axe central de la politique européenne depuis l'après-guerre, semblent de plus en plus fatiguées et égocentriques. Toutes deux se dirigent vers des élections dominées par des questions d'ordre national - ou, dans le cas de l’apathique campagne allemande, par l'absence totale de questions. Pendant ce temps, l'Italie, sous la direction du Premier ministre Mario Draghi, produit de nouvelles idées et formule une vision claire de la manière dont l'Europe peut faire face aux menaces mondiales telles que la pandémie et le changement climatique.
Dans la recherche d'une nouvelle voie à suivre, il convient de tenir compte des enseignements de 1931 et de 1971. Les transitions financières chaotiques sont aussi des défis sécuritaires. Ce n'est qu'en établissant un système viable de gestion des relations interétatiques que la stabilité financière peut être assurée. Et une politique internationale stable tend à être une condition préalable à l'établissement d’un nouvel ordre financier.
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La fin du consensus économiqueLa présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen lors de laConférence de presse sur la réponse de l'Union européenne à la crise du coronavirus, à Bruxelles, le15 avril 2020.
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Cette année est riche de grands anniversaires pour l'histoire de l'ordre monétaire international. Le 15 août a marqué le 50e anniversaire de la « fermeture de la fenêtre de l’or » par le président américain Richard Nixon et le 21 septembre, cela fera 90 ans que le gouvernement britannique a retiré la livre du système de l'étalon-or. Bien que ces deux épisodes appartiennent à l'histoire de la monnaie, leurs implications transcendent le domaine financier. Chacun de ces évènements a marqué la disparition de tout un régime de sécurité internationale.
L'ordre mondial du XIXe siècle avait été construit autour de la puissance impériale britannique, et l'étalon-or en était le pilier financier. Ce système était soutenu par l'espoir que malgré sa suspension en temps de guerre, la fin des hostilités permette à la monnaie de retrouver sa valeur en or d'avant-guerre. Cette promesse fondée sur la valeur intemporelle de l’or agissait comme un puissant argument d’autorité, permettant à un gouvernement en guerre d'emprunter plus facilement, et donc de supporter le coût d’un conflit.
L'étalon-or ayant longtemps contribué au statut impérial de la Grande-Bretagne, le pays y est revenu après la Première Guerre mondiale. En 1931, il était devenu évident que l'abandon de l'or était nécessaire pour faire marcher la planche à billets et permettre de sortir de la Grande Dépression.
Fin de l’hégémonie Britannique
Après la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne s'est également rendu compte qu'elle ne pouvait plus maintenir sa position au centre de l'ordre sécuritaire mondial. Elle a plutôt cherché à préserver son influence en créant une nouvelle institution, la Société des Nations (SDN). Pour de nombreux Britanniques, ce précurseur des Nations unies constituait une amélioration de l'ancien système d'équilibre des pouvoirs. Il établissait un code juridique clair pour le comportement international et fixait les limites de « l’agression » d’un pays par un autre. Du point de vue du reste du monde, cependant, la Société des Nations ressemblait à un système conçu pour protéger des intérêts britanniques au rabais.
Le 18 septembre 1931, quelques jours avant que le destin de la livre sterling ne se sépare de celui de l'or, l'armée japonaise détruit la crédibilité de la SDN. En mettant en scène un incident sous faux drapeau sur la voie ferrée stratégique de Mukden (aujourd'hui la ville chinoise de Shenyang), qu'il présente comme un acte de sabotage chinois, le Japon crée un prétexte pour envahir la Mandchourie. La Société des Nations est impuissante face à ces machinations. La provocation japonaise ne fait que souligner un point soulevé par les critiques : l'agression est un concept relatif.
Liens entre monnaie et politique sécuritaire
Le « choc Nixon », lui aussi, doit être compris comme faisant partie d'un changement systémique plus large de l'ordre sécuritaire mondial. Il s'agit de la contrepartie de l’échec américain au Vietnam. Cette guerre a miné le budget américain et entraîné le passage à un financement par l’inflation, ce qui a irrité les autres pays.
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L'humiliation de l'Amérique à Kaboul aujourd'hui fait penser à ces moments de l’histoire où les empires semblent s’effondrer. Comme la désintégration de la SDN dans le monde de l'entre-deux-guerres, et comme l'effondrement de la mainmise américaine au Vietnam, la reconquête de l'Afghanistan par les talibans n'a rien de surprenant. Dans chaque scénario, la fin catastrophique était prévue depuis des années.
C'est une chose que les effondrements monétaires et sécuritaires partagent. Tout le monde peut voir les fissures du système longtemps à l’avance, mais les responsables de la politique économique et sécuritaire nient leur intention d'abandonner le statu quo jusqu'au dernier moment. Lorsque l'effondrement se produit, il est nécessairement chaotique (car personne ne peut être considéré comme s'y étant préparé). La crédibilité de la puissance dominante s'évapore soudainement, et une ruée vers la sortie - de la monnaie ou du pays - s'ensuit rapidement.
Remise en cause d’un système
Les conséquences de ces épisodes peuvent être encore plus désastreuses, comme ce fut le cas pendant l'entre-deux-guerres. Lorsqu’un système s'effondre, tout un réseau d'alliances peut être immédiatement discrédité. Ainsi, l'Afghanistan est un fiasco non seulement pour l'administration américaine, mais aussi pour tous les gouvernements qui lui sont associés. Soudain, il devient beaucoup plus crédible que l'ancien système sécuritaire se fissure à d’autres endroits alors que cela semblait auparavant inimaginable. Dans le cas présent, tous les regards seront tournés vers les pays baltes et Taïwan.
Ces incertitudes créent le besoin d'un nouvel ordre politique, plus viable, plus durable et qui ne dépende pas de l'hégémon épuisé. Mais il est insensé de penser qu'il ne peut (ou ne doit) y avoir qu'un seul pôle de stabilité mondiale. Il ne fallait pas nécessairement que les États-Unis soient les seuls à prendre le relais des Britanniques au XXe siècle, et il n’est pas inéluctable que la Chine prenne la place laissée vacante par les États-Unis aujourd'hui. Il existe toujours d'autres alternatives, et la tension entre ces modèles est aussi source d’instabilité. La lutte hégémonique entre un Japon révisionniste, la Russie et l'Allemagne pendant l'entre-deux-guerres en est un exemple.
Penser un nouveau modèle
En outre, le renouvellement peut provenir des acteurs qui émergent du mouvement continuel de l’histoire. Aujourd'hui, la Covid-19 conduit toute la politique à se repenser, se réinventer. Contrairement à ce que les experts suggèrent souvent, il est loin d'être évident que la Russie ou la Chine profiteront inévitablement de l'humiliation subie par les États-Unis. L'Inde, par exemple, pourrait être amenée à jouer un rôle géopolitique majeur en Asie centrale et du Sud.
De même, avec le retrait du Royaume-Uni, la dynamique de l'Union européenne est en train d’évoluer. La France et l'Allemagne, axe central de la politique européenne depuis l'après-guerre, semblent de plus en plus fatiguées et égocentriques. Toutes deux se dirigent vers des élections dominées par des questions d'ordre national - ou, dans le cas de l’apathique campagne allemande, par l'absence totale de questions. Pendant ce temps, l'Italie, sous la direction du Premier ministre Mario Draghi, produit de nouvelles idées et formule une vision claire de la manière dont l'Europe peut faire face aux menaces mondiales telles que la pandémie et le changement climatique.
Dans la recherche d'une nouvelle voie à suivre, il convient de tenir compte des enseignements de 1931 et de 1971. Les transitions financières chaotiques sont aussi des défis sécuritaires. Ce n'est qu'en établissant un système viable de gestion des relations interétatiques que la stabilité financière peut être assurée. Et une politique internationale stable tend à être une condition préalable à l'établissement d’un nouvel ordre financier.