Tokyo en 2021 n’a sûrement pas besoin des Jeux Olympiques. Et pourtant, malgré la pandémie, l’armée olympique poursuit sa route, en défendant son seul idéal : gagner d’énormes quantités d’argent pour elle-même, pour les sponsors, pour les promoteurs immobiliers et parfois pour des politiciens corrompus.
Kaori Yamaguchi, médaillée olympique en judo et membre exécutif du Comité olympique japonais, a fait une déclaration étonnante, en tout cas, pour un officiel olympique. Elle a déclaré que le Japon avait été « acculé » à organiser les Jeux de cette année pendant une pandémie : « À quoi serviront ces Jeux, et pour qui ? Les Jeux ont déjà perdu leur sens et sont organisés juste pour le plaisir. Je crois que nous avons déjà raté l’occasion des les annuler ».
Elle n’est pas la seule. Un expert médical japonais de premier plan a averti que les Jeux pourraient déclencher de nouvelles épidémies de Covid-19, et que les poursuivre dans les conditions actuelles ne serait pas « normal ». Plus de 80 % de la population japonaise souhaite que les Jeux Olympiques soient reportés ou annulés. Le journal AsahiShimbun, un sponsor officiel des Jeux, a exhorté le gouvernement à abandonner le sujet. Si les Jeux ont lieu, ce qui semble le plus probable, les épreuves se dérouleront dans des stades pour la plupart vides, construits à grands frais.
La question de Yamaguchi est pertinente. À qui servent les Jeux Olympiques ? Les athlètes ont déjà amplement l’occasion de participer à toutes sortes de championnats internationaux. Et les Japonais ne devraient pas payer le prix pour divertir les téléspectateurs. Peut-être les Jeux sont-ils destinés aux politiciens japonais, qui espèrent que le spectacle rehaussera leur prestige, ou aux gros bonnets du Comité international olympique (CIO), ces dignes représentants qui croient que leurs intérêts corporatifs devraient passer avant ceux de tous les autres ?
Entre idéalisme benêt et cynisme affiché
La question de savoir à quoi servent réellement les Jeux Olympiques hante les Jeux depuis que le baron Pierre de Coubertin les a « relancés » à Athènes en 1896. Le baron, comme d’autres conservateurs français de l’époque, s’inquiétait de la virilité nationale, surtout après avoir perdu la guerre contre la Prusse en 1871. Il pensait que les sports de compétition seraient la réponse aux déficiences de la virilité française.
Outre la restauration de la virilité française, Coubertin espérait également qu’un événement sportif international favoriserait la paix en rassemblant les peuples du monde. À l’instar des Expositions universelles et des Jamborees scouts, les Jeux encourageraient l’amitié internationale ainsi que le patriotisme. Après une compétition propre et équitable, les individus les plus sains de nombreuses nations marcheraient ensemble vers un avenir meilleur.
Charles Maurras, idéologue d’extrême droite ayant rejoint l’Action française ultra-nationaliste, ridiculise d’abord l’idéalisme de Coubertin. Il méprise l’idée d’une amitié internationale. Puis il change d’avis. Les compétitions d’athlétisme inciteraient les gens de différentes nations à se haïr encore plus. Et cela, à son avis, serait une très bonne chose.
En fin de compte, ni l’idéalisme de Coubertin ni le cynisme de Maurras n’ont prévalu. La paix mondiale ne s’est pas installée, mais les guerres ne sont pas non plus le résultat de l’esprit partisan national dans les stades. La vacuité des prétentions de Coubertin est apparue de manière pathétique lorsque sa voix tremblante a prôné les vertus de l’amitié et du fair-play aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936, alors qu’Hitler et Goering étaient assis en souriant dans leurs sièges de luxe.
Quelques rares réussites
On ne peut nier que les Jeux Olympiques ont eu des impacts positifs depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les Jeux de Tokyo en 1964 ont été très importants pour les Japonais, car ils symbolisaient non seulement le renouveau économique, mais aussi la respectabilité politique. Le Japon n’était plus un prédateur militariste responsable de millions de morts sanglantes en Asie, mais une démocratie florissante, ouverte sur le monde.
On pourrait dire la même chose des Jeux Olympiques de Séoul en 1988. Après des décennies de domination impériale japonaise, la guerre de Corée dévastatrice et d’autres décennies de dictature militaire, la Corée du Sud était devenue une société relativement ouverte, avec des élections compétitives, une presse libre et une population jeune débordant de fierté et d’optimisme. Les Coréens méritaient amplement les feux de la rampe internationaux. Les Jeux de Séoul ont été une véritable célébration.
En dehors de ces rares occasions, cependant, les Jeux Olympiques sont difficiles à justifier. Les défilés, les drapeaux et les uniformes sont un anachronisme du XIXe siècle, toujours apprécié dans des pays dont les habitants n’ont pas le droit d’élire leurs dirigeants, mais seulement l’obligation d'en louer les mérites. La Corée du Nord est passée maître dans ce domaine, mais les Jeux Olympiques d’hiver de Vladimir Poutine en 2014, organisés dans une station subtropicale remplie de neige artificielle, se voulaient clairement un hommage à son régime autoritaire. Et le nationalisme chinois affiché aux Jeux de Pékin en 2008 aurait été plus proche du cœur de Maurras que de celui de Coubertin.
Une manifestation dispendieuse qui ne profite pas à tous
Des pays plus pauvres, comme la Grèce en 2004, se sont également retrouvés avec des dettes énormes et des stades déserts envahis de mauvaises herbes. Et les pays riches n’ont pas vraiment besoin d’extravagances comme celles d’Atlanta en 1996 ou de Londres en 2012, sauf peut-être comme excuse pour investir dans des infrastructures qui auraient dû être construites de toute façon.
Tokyo en 2021 n’a sûrement pas besoin des Jeux Olympiques. Et pourtant, l’armée olympique poursuit sa route, engrangeant d’énormes sommes d’argent alors même que certains pays sont au bord de la faillite. Le CIO a gagné la coquette somme de 985 millions d’euros (1,2 milliard de dollars) grâce aux Jeux d’Athènes. Je me souviens avoir regardé les officiels olympiques se pavaner à Séoul. Plus le pays qu’ils représentaient était pauvre, plus leurs montres en platine semblaient grandes.
Les Jeux sont un gigantesque business pour le CIO, pour les sponsors, pour les promoteurs immobiliers, et parfois pour les politiciens corrompus. C’est à cela qu’ils servent. Cette année, des milliers d’officiels olympiques se presseront dans les halls des hôtels coûteux de Tokyo. Et après leur départ pour leur prochaine destination, les grands stades construits resteront des sites abandonnés à la suite d'un événement qui n’aurait jamais dû avoir lieu.
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La fin du consensus économiqueLa présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen lors de laConférence de presse sur la réponse de l'Union européenne à la crise du coronavirus, à Bruxelles, le15 avril 2020.
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Kaori Yamaguchi, médaillée olympique en judo et membre exécutif du Comité olympique japonais, a fait une déclaration étonnante, en tout cas, pour un officiel olympique. Elle a déclaré que le Japon avait été « acculé » à organiser les Jeux de cette année pendant une pandémie : « À quoi serviront ces Jeux, et pour qui ? Les Jeux ont déjà perdu leur sens et sont organisés juste pour le plaisir. Je crois que nous avons déjà raté l’occasion des les annuler ».
Elle n’est pas la seule. Un expert médical japonais de premier plan a averti que les Jeux pourraient déclencher de nouvelles épidémies de Covid-19, et que les poursuivre dans les conditions actuelles ne serait pas « normal ». Plus de 80 % de la population japonaise souhaite que les Jeux Olympiques soient reportés ou annulés. Le journal AsahiShimbun, un sponsor officiel des Jeux, a exhorté le gouvernement à abandonner le sujet. Si les Jeux ont lieu, ce qui semble le plus probable, les épreuves se dérouleront dans des stades pour la plupart vides, construits à grands frais.
La question de Yamaguchi est pertinente. À qui servent les Jeux Olympiques ? Les athlètes ont déjà amplement l’occasion de participer à toutes sortes de championnats internationaux. Et les Japonais ne devraient pas payer le prix pour divertir les téléspectateurs. Peut-être les Jeux sont-ils destinés aux politiciens japonais, qui espèrent que le spectacle rehaussera leur prestige, ou aux gros bonnets du Comité international olympique (CIO), ces dignes représentants qui croient que leurs intérêts corporatifs devraient passer avant ceux de tous les autres ?
Entre idéalisme benêt et cynisme affiché
La question de savoir à quoi servent réellement les Jeux Olympiques hante les Jeux depuis que le baron Pierre de Coubertin les a « relancés » à Athènes en 1896. Le baron, comme d’autres conservateurs français de l’époque, s’inquiétait de la virilité nationale, surtout après avoir perdu la guerre contre la Prusse en 1871. Il pensait que les sports de compétition seraient la réponse aux déficiences de la virilité française.
Outre la restauration de la virilité française, Coubertin espérait également qu’un événement sportif international favoriserait la paix en rassemblant les peuples du monde. À l’instar des Expositions universelles et des Jamborees scouts, les Jeux encourageraient l’amitié internationale ainsi que le patriotisme. Après une compétition propre et équitable, les individus les plus sains de nombreuses nations marcheraient ensemble vers un avenir meilleur.
Charles Maurras, idéologue d’extrême droite ayant rejoint l’Action française ultra-nationaliste, ridiculise d’abord l’idéalisme de Coubertin. Il méprise l’idée d’une amitié internationale. Puis il change d’avis. Les compétitions d’athlétisme inciteraient les gens de différentes nations à se haïr encore plus. Et cela, à son avis, serait une très bonne chose.
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En fin de compte, ni l’idéalisme de Coubertin ni le cynisme de Maurras n’ont prévalu. La paix mondiale ne s’est pas installée, mais les guerres ne sont pas non plus le résultat de l’esprit partisan national dans les stades. La vacuité des prétentions de Coubertin est apparue de manière pathétique lorsque sa voix tremblante a prôné les vertus de l’amitié et du fair-play aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936, alors qu’Hitler et Goering étaient assis en souriant dans leurs sièges de luxe.
Quelques rares réussites
On ne peut nier que les Jeux Olympiques ont eu des impacts positifs depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les Jeux de Tokyo en 1964 ont été très importants pour les Japonais, car ils symbolisaient non seulement le renouveau économique, mais aussi la respectabilité politique. Le Japon n’était plus un prédateur militariste responsable de millions de morts sanglantes en Asie, mais une démocratie florissante, ouverte sur le monde.
On pourrait dire la même chose des Jeux Olympiques de Séoul en 1988. Après des décennies de domination impériale japonaise, la guerre de Corée dévastatrice et d’autres décennies de dictature militaire, la Corée du Sud était devenue une société relativement ouverte, avec des élections compétitives, une presse libre et une population jeune débordant de fierté et d’optimisme. Les Coréens méritaient amplement les feux de la rampe internationaux. Les Jeux de Séoul ont été une véritable célébration.
En dehors de ces rares occasions, cependant, les Jeux Olympiques sont difficiles à justifier. Les défilés, les drapeaux et les uniformes sont un anachronisme du XIXe siècle, toujours apprécié dans des pays dont les habitants n’ont pas le droit d’élire leurs dirigeants, mais seulement l’obligation d'en louer les mérites. La Corée du Nord est passée maître dans ce domaine, mais les Jeux Olympiques d’hiver de Vladimir Poutine en 2014, organisés dans une station subtropicale remplie de neige artificielle, se voulaient clairement un hommage à son régime autoritaire. Et le nationalisme chinois affiché aux Jeux de Pékin en 2008 aurait été plus proche du cœur de Maurras que de celui de Coubertin.
Une manifestation dispendieuse qui ne profite pas à tous
Des pays plus pauvres, comme la Grèce en 2004, se sont également retrouvés avec des dettes énormes et des stades déserts envahis de mauvaises herbes. Et les pays riches n’ont pas vraiment besoin d’extravagances comme celles d’Atlanta en 1996 ou de Londres en 2012, sauf peut-être comme excuse pour investir dans des infrastructures qui auraient dû être construites de toute façon.
Tokyo en 2021 n’a sûrement pas besoin des Jeux Olympiques. Et pourtant, l’armée olympique poursuit sa route, engrangeant d’énormes sommes d’argent alors même que certains pays sont au bord de la faillite. Le CIO a gagné la coquette somme de 985 millions d’euros (1,2 milliard de dollars) grâce aux Jeux d’Athènes. Je me souviens avoir regardé les officiels olympiques se pavaner à Séoul. Plus le pays qu’ils représentaient était pauvre, plus leurs montres en platine semblaient grandes.
Les Jeux sont un gigantesque business pour le CIO, pour les sponsors, pour les promoteurs immobiliers, et parfois pour les politiciens corrompus. C’est à cela qu’ils servent. Cette année, des milliers d’officiels olympiques se presseront dans les halls des hôtels coûteux de Tokyo. Et après leur départ pour leur prochaine destination, les grands stades construits resteront des sites abandonnés à la suite d'un événement qui n’aurait jamais dû avoir lieu.