Personne au Royaume-Uni ne s’attendait à ce que le Championnat d’Europe de football attire à ce point l’attention sur certaines questions politiques fondamentales. Mais, à l’instar du référendum de 2016 sur le Brexit, le tournoi a poussé les Anglais à réfléchir au nationalisme, et à reconnaître la nécessaire distinction avec le patriotisme.
Le nationalisme n’a pas eu bonne presse ces dernières années, surtout dans les médias les plus libéraux. Des hommes politiques comme le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, Marine Le Pen en France, le président turc Recep Tayyip Erdoğan et l’ancien président américain Donald Trump ont souvent été accusés de saper les valeurs fondamentales des sociétés libres et tolérantes voire d’encourager une dérive autocratique.
En Chine, pays qui reste résolument léniniste malgré son abandon du marxisme, le régime attise le nationalisme pour se substituer aux valeurs morales que le communisme était censé refléter. Les diplomates chinois dits « guerriers-loups » attaquent tout pays qui n’est pas d’accord avec le récit du Parti communiste chinois sur le passé et le présent du pays, et font des héros de tous ceux – y compris les partisans de la rébellion des Boxers au début du XXe siècle – qui ont combattu les sociétés occidentales.
La mouvance identitaire, ou la mort du nationalisme
Il n’y a rien d’intrinsèquement mauvais dans le nationalisme. Il reconnaît que l’unité de base du gouvernement au cours des derniers siècles a été l’État-nation, dont les frontières englobent non seulement la géographie physique, mais aussi un sentiment partagé d’identité commune, comprenant des idées collectives sur les succès et les échecs historiques. Les citoyens d’un État-nation sont généralement prêts à se battre pour lui en cas d’urgence, et ils plantent leur drapeau national au sommet des montagnes qu’ils gravissent. Ils peuvent accepter la nécessité d’une organisation et d’une collaboration internationale, mais ne se sentent pas redevables de la même loyauté envers les institutions internationales qu’envers leurs pendants nationaux.
Mais l’idée du nationalisme s’estompe lorsqu’il commence à se définir (en dehors des périodes de guerre) par rapport à une menace extérieure supposée, souvent imaginaire, ou à un groupe minoritaire racial, ethnique, linguistique ou religieux interne. Son observance d’une religion majoritaire est souvent beaucoup plus faible que son hostilité à tout autre ensemble de croyances. Lorsque l’homme politique anglais Enoch Powell parlait avec force du nationalisme anglais dans les années 1950, il n’attirait que peu d’attention. Mais lorsqu’il a défini les valeurs nationales comme étant menacées par les immigrants – dont il affirmait avec émotion qu’ils dirigeraient bientôt les Anglais de souche au fouet – les gens sont descendus dans la rue pour le soutenir.
Prôner un patriotisme inclusif
En Angleterre, une telle hostilité à l’égard des étrangers qui vivent au sein du soi-disant groupe national peut, en un sens, sembler curieuse : l’écrivain Daniel Defoe décrivait les Anglais, il y a quelque temps, comme « une race bâtarde et métisse », résultat génétique et culturel de nombreuses invasions tribales. Plus récemment, l’une des conséquences de l’histoire impériale de la Grande-Bretagne a été que certains des habitants des pays étrangers colonisés sont venus vivre en métropole. Ils sont ici parce que nous étions là-bas.
Le patriotisme reconnaît cette complexité. Il ne rend pas aveugles aux complications de nos liens, et n’enterre pas non plus la question de l’identité nationale. De même, il ne fait pas de la raison et de la tolérance des ennemis, mais accueille et embrasse les différences et la diversité comme des forces dans une société ouverte et libre.
Le meilleur exemple de cet état d’esprit ne nous vient pas d’un dirigeant politique britannique, mais de l’actuel entraîneur de l’équipe masculine de football d’Angleterre, Gareth Southgate. Dans une lettre publique qu’il a écrite à la veille du tournoi, qui s’est conclu par la défaite de l’Angleterre en finale contre l’Italie, il a célébré en tant que patriote la fierté et le privilège ce que son équipe multiraciale ressentait en représentant la reine et le pays. Il a noté que la célébrité des joueurs leur donnait la responsabilité d’interagir avec le public « sur des questions telles que l’égalité, l’inclusion et l’injustice raciale, tout en utilisant le pouvoir de leurs voix pour aider à mettre les débats sur la table, sensibiliser et éduquer ».
Victoire morale de l’équipe anglaise, défaite des politiciens
C’est exactement ce qu’ils ont fait sur un certain nombre de sujets, notamment les effets de la pandémie sur la pauvreté et la protection de l’enfance, mais surtout sur la justice raciale, un défi particulier pour les joueurs ayant subi des insultes en raison de leur couleur de peau. Pour faire valoir ce point de vue de la manière la plus forte et la plus raisonnable possible, les joueurs anglais ont posé un genou à terre juste avant le début de leurs matchs pendant l’Euro. Les voyous racistes qui constituent une minorité de fans de football anglais les ont hués pour cela, tout comme ils ont hué les hymnes nationaux des adversaires de l’Angleterre.
Ces joueurs méritaient le soutien inconditionnel des dirigeants politiques britanniques. Mais la ministre de l’Intérieur, Priti Patel, a déclaré lors d’une interview télévisée que les supporters anglais ne faisaient qu’exercer leur choix pour exprimer clairement leur point de vue sur quelque chose qui n’était qu’un « geste politique ». Beaucoup ont vu, à juste titre, dans le commentaire de Patel un désagréable clin d’œil et coup de coude aux racistes, que les conservateurs au pouvoir pensent pouvoir utiliser. Et le Premier ministre Boris Johnson (qui n’a jamais hésité à proférer des insultes racistes) a refusé de la critiquer.
Malheureusement pour Boris Johnson, plusieurs députés conservateurs et la réputation internationale du Royaume-Uni, le problème a ensuite explosé lorsque trois joueurs anglais noirs qui avaient raté des tirs au but lors de la défaite aux tirs au but contre l’Italie ont été victimes d’insultes racistes sur les réseaux sociaux. Insultes que les joueurs voulaient prévenir et dénoncer en s’agenouillant à chaque match.
Il est maintenant assez clair que la plupart des électeurs se sont rangés du côté de la vision patriotique de Southgate et non du côté du nationalisme anglais du gouvernement conservateur, avec ses connotations racistes et ses sous-entendus déplaisants. En fait, de nombreuses personnes au Royaume-Uni pourraient souhaiter en privé que le manager des Three Lions occupe le poste de Johnson.
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Le nationalisme n’a pas eu bonne presse ces dernières années, surtout dans les médias les plus libéraux. Des hommes politiques comme le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, Marine Le Pen en France, le président turc Recep Tayyip Erdoğan et l’ancien président américain Donald Trump ont souvent été accusés de saper les valeurs fondamentales des sociétés libres et tolérantes voire d’encourager une dérive autocratique.
En Chine, pays qui reste résolument léniniste malgré son abandon du marxisme, le régime attise le nationalisme pour se substituer aux valeurs morales que le communisme était censé refléter. Les diplomates chinois dits « guerriers-loups » attaquent tout pays qui n’est pas d’accord avec le récit du Parti communiste chinois sur le passé et le présent du pays, et font des héros de tous ceux – y compris les partisans de la rébellion des Boxers au début du XXe siècle – qui ont combattu les sociétés occidentales.
La mouvance identitaire, ou la mort du nationalisme
Il n’y a rien d’intrinsèquement mauvais dans le nationalisme. Il reconnaît que l’unité de base du gouvernement au cours des derniers siècles a été l’État-nation, dont les frontières englobent non seulement la géographie physique, mais aussi un sentiment partagé d’identité commune, comprenant des idées collectives sur les succès et les échecs historiques. Les citoyens d’un État-nation sont généralement prêts à se battre pour lui en cas d’urgence, et ils plantent leur drapeau national au sommet des montagnes qu’ils gravissent. Ils peuvent accepter la nécessité d’une organisation et d’une collaboration internationale, mais ne se sentent pas redevables de la même loyauté envers les institutions internationales qu’envers leurs pendants nationaux.
Mais l’idée du nationalisme s’estompe lorsqu’il commence à se définir (en dehors des périodes de guerre) par rapport à une menace extérieure supposée, souvent imaginaire, ou à un groupe minoritaire racial, ethnique, linguistique ou religieux interne. Son observance d’une religion majoritaire est souvent beaucoup plus faible que son hostilité à tout autre ensemble de croyances. Lorsque l’homme politique anglais Enoch Powell parlait avec force du nationalisme anglais dans les années 1950, il n’attirait que peu d’attention. Mais lorsqu’il a défini les valeurs nationales comme étant menacées par les immigrants – dont il affirmait avec émotion qu’ils dirigeraient bientôt les Anglais de souche au fouet – les gens sont descendus dans la rue pour le soutenir.
Prôner un patriotisme inclusif
En Angleterre, une telle hostilité à l’égard des étrangers qui vivent au sein du soi-disant groupe national peut, en un sens, sembler curieuse : l’écrivain Daniel Defoe décrivait les Anglais, il y a quelque temps, comme « une race bâtarde et métisse », résultat génétique et culturel de nombreuses invasions tribales. Plus récemment, l’une des conséquences de l’histoire impériale de la Grande-Bretagne a été que certains des habitants des pays étrangers colonisés sont venus vivre en métropole. Ils sont ici parce que nous étions là-bas.
Le patriotisme reconnaît cette complexité. Il ne rend pas aveugles aux complications de nos liens, et n’enterre pas non plus la question de l’identité nationale. De même, il ne fait pas de la raison et de la tolérance des ennemis, mais accueille et embrasse les différences et la diversité comme des forces dans une société ouverte et libre.
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Le meilleur exemple de cet état d’esprit ne nous vient pas d’un dirigeant politique britannique, mais de l’actuel entraîneur de l’équipe masculine de football d’Angleterre, Gareth Southgate. Dans une lettre publique qu’il a écrite à la veille du tournoi, qui s’est conclu par la défaite de l’Angleterre en finale contre l’Italie, il a célébré en tant que patriote la fierté et le privilège ce que son équipe multiraciale ressentait en représentant la reine et le pays. Il a noté que la célébrité des joueurs leur donnait la responsabilité d’interagir avec le public « sur des questions telles que l’égalité, l’inclusion et l’injustice raciale, tout en utilisant le pouvoir de leurs voix pour aider à mettre les débats sur la table, sensibiliser et éduquer ».
Victoire morale de l’équipe anglaise, défaite des politiciens
C’est exactement ce qu’ils ont fait sur un certain nombre de sujets, notamment les effets de la pandémie sur la pauvreté et la protection de l’enfance, mais surtout sur la justice raciale, un défi particulier pour les joueurs ayant subi des insultes en raison de leur couleur de peau. Pour faire valoir ce point de vue de la manière la plus forte et la plus raisonnable possible, les joueurs anglais ont posé un genou à terre juste avant le début de leurs matchs pendant l’Euro. Les voyous racistes qui constituent une minorité de fans de football anglais les ont hués pour cela, tout comme ils ont hué les hymnes nationaux des adversaires de l’Angleterre.
Ces joueurs méritaient le soutien inconditionnel des dirigeants politiques britanniques. Mais la ministre de l’Intérieur, Priti Patel, a déclaré lors d’une interview télévisée que les supporters anglais ne faisaient qu’exercer leur choix pour exprimer clairement leur point de vue sur quelque chose qui n’était qu’un « geste politique ». Beaucoup ont vu, à juste titre, dans le commentaire de Patel un désagréable clin d’œil et coup de coude aux racistes, que les conservateurs au pouvoir pensent pouvoir utiliser. Et le Premier ministre Boris Johnson (qui n’a jamais hésité à proférer des insultes racistes) a refusé de la critiquer.
Malheureusement pour Boris Johnson, plusieurs députés conservateurs et la réputation internationale du Royaume-Uni, le problème a ensuite explosé lorsque trois joueurs anglais noirs qui avaient raté des tirs au but lors de la défaite aux tirs au but contre l’Italie ont été victimes d’insultes racistes sur les réseaux sociaux. Insultes que les joueurs voulaient prévenir et dénoncer en s’agenouillant à chaque match.
Il est maintenant assez clair que la plupart des électeurs se sont rangés du côté de la vision patriotique de Southgate et non du côté du nationalisme anglais du gouvernement conservateur, avec ses connotations racistes et ses sous-entendus déplaisants. En fait, de nombreuses personnes au Royaume-Uni pourraient souhaiter en privé que le manager des Three Lions occupe le poste de Johnson.