Stratton, Ohio/USA-24 août 2016 : La dernière centrale électrique au charbon de FirstEnergy Solution dans l'Ohio, la centrale W.H. Sammis, que l'entreprise a déclaré vouloir fermer en 2022.
Les investisseurs institutionnels appliquent de plus en plus de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs décisions de portefeuille. Pourtant, aussi importants que soient ces facteurs, ils ne sont rien en comparaison de la question de savoir si une entreprise est engagée dans des affaires sombres d’influence politique par de l’argent sale.
Les critères ESG ont le vent en poupe dans le milieu de la finance. Pourtant, s’il est important que les investisseurs prennent en compte ces facteurs, cette nouvelle orientation risque d’occulter une question encore plus importante : le rôle que jouent les entreprises dans le processus démocratique.
La Déclaration universelle des droits de l’homme (article 21, section 3) stipule que « la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote. ». La démocratie est – de fait – un droit de l’homme, ce qui signifie que la première responsabilité sociale des entreprises – qu’il s’agisse d’une entreprise individuelle ou d’une société multimilliardaire – est de s’abstenir de saper la démocratie, que ce soit dans leur pays ou à l’étranger.
Beaucoup considéreront que ce point est évident ou pas pertinent. Qu’ont à voir entreprises avec la démocratie ? Nombre d’entre elles jouent en réalité un rôle de premier plan dans la distorsion du processus démocratique, dont la fonction propre est de transformer la volonté populaire en action législative. Permettez-moi d’illustrer mon propos à l’aide d’exemples tirés des États-Unis, qui étaient autrefois considérés comme la démocratie la plus avancée du monde.
La corruption des systèmes démocratiques
En 2019, la législature de l’État de l’Ohio, contrôlée par les républicains, a adopté le projet de loi 6 de la Chambre des représentants, qui prévoyait 1 milliard de dollars de subventions pour renflouer FirstEnergy Solutions, une filiale d’une compagnie d’électricité spécialisée dans les centrales nucléaires. Ce projet de loi n’était guère l’expression de la volonté du peuple de l’Ohio. Au contraire, un groupe d’argent noir, Generation Now, a depuis plaidé coupable d’avoir mis en place un système de corruption massive pour obtenir l’approbation du plan de sauvetage. Generation Now a soutenu les campagnes de 21 candidats différents au niveau de l’État, dont le président de la Chambre, Larry Householder, qui a également reçu plus de 400 000 dollars d’avantages personnels.
Et comme si cela ne suffisait pas, lorsque les Ohioans ont commencé à recueillir des signatures pour un référendum visant à abolir la loi HB6, Generation Now a lancé une campagne publicitaire affirmant que les Chinois prendraient le contrôle du réseau électrique de l’État si l’abrogation était acceptée. Un média local a également découvert que le groupe avait « engagé des “ bloqueurs ” qui suivaient, encerclaient, harcelaient et (dans quelques cas) frappaient physiquement les collecteurs de pétitions ». Il a été révélé par la suite que Generation Now avait été fondée avec 56,6 millions de dollars de FirstEnergy Solutions, mais ce scandale n’aurait jamais été révélé sans une enquête du FBI.
Un cas fréquent
Puisque cet épisode semble appartenir davantage au Guatemala des années 1950 qu’à l’Amérique du XXIe siècle, pouvons-nous le considérer comme un cas isolé, limité à une mauvaise entreprise, à un État ou au seul parti républicain ? Malheureusement, c’est impossible. C’est un truisme dans la politique américaine : « Comme l’Ohio va, ainsi va la nation ». Dans l’Illinois voisin, Exelon Corporation a accepté de payer une amende de 200 millions de dollars pour un système de corruption de longue date dans lequel la compagnie d’électricité a offert des emplois et des contrats à des associés du président de la Chambre des représentants de l’Illinois, Michael Madigan, un leader du parti démocrate de l’État.
Là encore, le seul aspect inhabituel de cette histoire est que les coupables ont été arrêtés. Un article récent paru dans le Quarterly Journal of Economics fournit des preuves systématiques des nombreuses façons dont l’argent des entreprises est régulièrement acheminé par le biais d’organisations à but non lucratif pour influencer les résultats politiques en coulisse. Les actions documentées dans cet article sont légales, mais cela ne les rend pas socialement responsables.
L’influence des entreprises sur le processus politique américain ne fait pas que peser sur nos finances publiques et dévaster notre environnement ; elle sape aussi fondamentalement notre démocratie. La démocratie mérite d’être préservée si elle remplit la fonction de transformer les préférences des électeurs en politiques. Mais si elle échoue dans cette tâche, pourquoi la conserver ? Après tout, la démocratie n’est ni efficace ni bon marché à maintenir. Si les électeurs ne peuvent pas faire confiance à leurs représentants élus pour les représenter, ils apporteront leur soutien aux extrémistes qui sont prêts à démolir le système corrompu.
Compte tenu des enjeux, ne pas interférer avec le processus démocratique devrait être la première responsabilité sociale de toute entreprise. Les considérations ESG sont importantes, mais si une entreprise échoue sur le critère D (démocratie), peu importe ses performances apparentes en matière d’ESG. Comme le montrent les scandales de FirstEnergy et d’Exelon, les risques liés à un jeu déloyal peuvent facilement éclipser les avantages d’un prétendu alignement ESG. En revanche, si une entreprise remplit ses exigences D, mais n’atteint pas les exigences ESG, on peut toujours compter sur la gouvernance politique pour aider à résoudre les problèmes restants. C’est pourquoi D doit toujours passer avant ESG.
Garder les entreprises à leur place
Le premier principe de l’investissement responsable consiste donc à s’assurer que les entreprises ne violent pas ou ne réécrivent pas les règles du jeu démocratique, que ce soit dans leur pays ou à l’étranger. C’est parfaitement réalisable, et cela commence par l’exigence d’une transparence totale sur l’utilisation de l’argent des entreprises. L’arrêt Citizen United rendu en 2010 par la Cour suprême des États-Unis a peut-être ouvert la voie à une utilisation sans entrave de l’argent des entreprises en politique, mais il ne protège pas le droit des entreprises à effectuer de telles dépenses sans en informer leurs actionnaires.
Une initiative publique visant à forcer ce type de transparence prend de l’ampleur. En moyenne, le soutien aux propositions d’actionnaires exigeant la divulgation des dépenses politiques est passé de 36,4 % en 2019 à 48,1 % en 2021. Si les trois grands investisseurs institutionnels – BlackRock, Vanguard et State Street – approuvent ce principe, il pourrait devenir la norme pour toutes les grandes entreprises américaines. La transparence totale empêcherait-elle les entreprises de fausser la démocratie ? Elle le ferait dans une large mesure, car elle exposerait leur corruption (qu’elle soit légale ou non) non seulement à leurs actionnaires, mais aussi à leurs clients, à leurs employés et aux régulateurs. C’est maintenant qu’il faut agir. Demain, il sera peut-être trop tard.
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Les critères ESG ont le vent en poupe dans le milieu de la finance. Pourtant, s’il est important que les investisseurs prennent en compte ces facteurs, cette nouvelle orientation risque d’occulter une question encore plus importante : le rôle que jouent les entreprises dans le processus démocratique.
La Déclaration universelle des droits de l’homme (article 21, section 3) stipule que « la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote. ». La démocratie est – de fait – un droit de l’homme, ce qui signifie que la première responsabilité sociale des entreprises – qu’il s’agisse d’une entreprise individuelle ou d’une société multimilliardaire – est de s’abstenir de saper la démocratie, que ce soit dans leur pays ou à l’étranger.
Beaucoup considéreront que ce point est évident ou pas pertinent. Qu’ont à voir entreprises avec la démocratie ? Nombre d’entre elles jouent en réalité un rôle de premier plan dans la distorsion du processus démocratique, dont la fonction propre est de transformer la volonté populaire en action législative. Permettez-moi d’illustrer mon propos à l’aide d’exemples tirés des États-Unis, qui étaient autrefois considérés comme la démocratie la plus avancée du monde.
La corruption des systèmes démocratiques
En 2019, la législature de l’État de l’Ohio, contrôlée par les républicains, a adopté le projet de loi 6 de la Chambre des représentants, qui prévoyait 1 milliard de dollars de subventions pour renflouer FirstEnergy Solutions, une filiale d’une compagnie d’électricité spécialisée dans les centrales nucléaires. Ce projet de loi n’était guère l’expression de la volonté du peuple de l’Ohio. Au contraire, un groupe d’argent noir, Generation Now, a depuis plaidé coupable d’avoir mis en place un système de corruption massive pour obtenir l’approbation du plan de sauvetage. Generation Now a soutenu les campagnes de 21 candidats différents au niveau de l’État, dont le président de la Chambre, Larry Householder, qui a également reçu plus de 400 000 dollars d’avantages personnels.
Et comme si cela ne suffisait pas, lorsque les Ohioans ont commencé à recueillir des signatures pour un référendum visant à abolir la loi HB6, Generation Now a lancé une campagne publicitaire affirmant que les Chinois prendraient le contrôle du réseau électrique de l’État si l’abrogation était acceptée. Un média local a également découvert que le groupe avait « engagé des “ bloqueurs ” qui suivaient, encerclaient, harcelaient et (dans quelques cas) frappaient physiquement les collecteurs de pétitions ». Il a été révélé par la suite que Generation Now avait été fondée avec 56,6 millions de dollars de FirstEnergy Solutions, mais ce scandale n’aurait jamais été révélé sans une enquête du FBI.
Un cas fréquent
Puisque cet épisode semble appartenir davantage au Guatemala des années 1950 qu’à l’Amérique du XXIe siècle, pouvons-nous le considérer comme un cas isolé, limité à une mauvaise entreprise, à un État ou au seul parti républicain ? Malheureusement, c’est impossible. C’est un truisme dans la politique américaine : « Comme l’Ohio va, ainsi va la nation ». Dans l’Illinois voisin, Exelon Corporation a accepté de payer une amende de 200 millions de dollars pour un système de corruption de longue date dans lequel la compagnie d’électricité a offert des emplois et des contrats à des associés du président de la Chambre des représentants de l’Illinois, Michael Madigan, un leader du parti démocrate de l’État.
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L’influence des entreprises sur le processus politique américain ne fait pas que peser sur nos finances publiques et dévaster notre environnement ; elle sape aussi fondamentalement notre démocratie. La démocratie mérite d’être préservée si elle remplit la fonction de transformer les préférences des électeurs en politiques. Mais si elle échoue dans cette tâche, pourquoi la conserver ? Après tout, la démocratie n’est ni efficace ni bon marché à maintenir. Si les électeurs ne peuvent pas faire confiance à leurs représentants élus pour les représenter, ils apporteront leur soutien aux extrémistes qui sont prêts à démolir le système corrompu.
Compte tenu des enjeux, ne pas interférer avec le processus démocratique devrait être la première responsabilité sociale de toute entreprise. Les considérations ESG sont importantes, mais si une entreprise échoue sur le critère D (démocratie), peu importe ses performances apparentes en matière d’ESG. Comme le montrent les scandales de FirstEnergy et d’Exelon, les risques liés à un jeu déloyal peuvent facilement éclipser les avantages d’un prétendu alignement ESG. En revanche, si une entreprise remplit ses exigences D, mais n’atteint pas les exigences ESG, on peut toujours compter sur la gouvernance politique pour aider à résoudre les problèmes restants. C’est pourquoi D doit toujours passer avant ESG.
Garder les entreprises à leur place
Le premier principe de l’investissement responsable consiste donc à s’assurer que les entreprises ne violent pas ou ne réécrivent pas les règles du jeu démocratique, que ce soit dans leur pays ou à l’étranger. C’est parfaitement réalisable, et cela commence par l’exigence d’une transparence totale sur l’utilisation de l’argent des entreprises. L’arrêt Citizen United rendu en 2010 par la Cour suprême des États-Unis a peut-être ouvert la voie à une utilisation sans entrave de l’argent des entreprises en politique, mais il ne protège pas le droit des entreprises à effectuer de telles dépenses sans en informer leurs actionnaires.
Une initiative publique visant à forcer ce type de transparence prend de l’ampleur. En moyenne, le soutien aux propositions d’actionnaires exigeant la divulgation des dépenses politiques est passé de 36,4 % en 2019 à 48,1 % en 2021. Si les trois grands investisseurs institutionnels – BlackRock, Vanguard et State Street – approuvent ce principe, il pourrait devenir la norme pour toutes les grandes entreprises américaines. La transparence totale empêcherait-elle les entreprises de fausser la démocratie ? Elle le ferait dans une large mesure, car elle exposerait leur corruption (qu’elle soit légale ou non) non seulement à leurs actionnaires, mais aussi à leurs clients, à leurs employés et aux régulateurs. C’est maintenant qu’il faut agir. Demain, il sera peut-être trop tard.