A la différence de la Chine et des Etats-Unis, l’Europe n’a pas produit de géants de l’économie numérique. Mais la taille et l’attractivité de son marché lui préservent une influence sur la gouvernance digitale. Son approche à la règlementation peut ainsi pallier les inconvénients du libertarianisme technologique à l’américaine et de l’autoritarisme numérique chinois.
Lorsqu’on parle de « guerre technologique » aujourd’hui, c’est souvent pour décrire la lutte pour la domination numérique entre deux puissances seulement : la Chine et les États-Unis. Les États-Unis abritent les entreprises technologiques les plus puissantes et les plus rentables du monde, aux premiers rangs desquels figurent Apple, Amazon, Google, Facebook et Microsoft – entreprises dont la valeur marchande combinée dépasse les 5 000 milliards de dollars. La Chine possède le titan des télécommunications Huawei, le géant de l’Internet et des jeux Tencent, et le plus grand détaillant de commerce électronique au monde, Alibaba. Sans son propre moteur de recherche qui rivaliserait avec Google, ni sa plateforme de médias sociaux comparable à Facebook, l’Europe donne l’air d’être restée en marge de l’économie numérique. Pourtant, c’est plutôt le contraire qui est vrai.
Le plus souvent, c’est l’Union européenne qui fixe les règles selon lesquelles opèrent les multinationales technologiques. Par le biais de l’antitrust et de la concurrence, l’Union européenne contrôle le comportement des géants technologiques sur le marché, même lorsque leurs autorités de régulation nationales les laissent sans contrainte. Par exemple, entre 2017 et 2019, l’UE a infligé à Google près de 10 milliards de dollars d’amendes pour ses pratiques anticoncurrentielles.
En outre, les règlements de l’UE déterminent souvent comment les grandes entreprises technologiques recueillent, traitent, stockent et monétisent les données personnelles. Par exemple, Facebook, Google et Microsoft ont tous trois adopté une politique globale de protection de la vie privée, qui reflète le règlement européen sur la protection des données (RGPD). De même, l’Europe a influencé le contenu que les entreprises autorisent sur leurs plateformes. Facebook, Twitter et YouTube suivent la définition de l’UE des discours haineux lorsqu’ils décident du contenu à retirer de leurs plateformes, plutôt que de se laisser guider par les protections du premier amendement américain sur la liberté d’expression.
Pourquoi ces puissantes entreprises se soumettent-elles à la volonté des régulateurs européens et conçoivent leurs produits et services en conséquence ? La réponse se trouve dans ce que j’ai appelé « l’effet Bruxelles ». Parce que l’Europe est l’un des marchés de consommation les plus importants et les plus riches du monde, les multinationales acceptent que le respect des règles européennes soit le prix à payer pour y faire des affaires. Et pour éviter les coûts liés à la mise en conformité avec de multiples régimes réglementaires, elles étendent souvent ces règles à leurs activités à l’échelle mondiale. Cette dynamique permet à l’UE d’exercer une influence passive mais profonde sur le comportement des entreprises, transformant ainsi les marchés mondiaux.
L’effet Bruxelles déborde des frontières européennes
Si l’influence de Bruxelles ne se limite pas au domaine numérique (l’UE exerce un pouvoir similaire dans de nombreux autres domaines allant de la protection de l’environnement à la santé et à la sécurité des consommateurs), le poids réglementaire de l’UE est particulièrement pertinent dans l’économie des données. La raison ? L’importance du marché européen pour les entreprises axées sur les données, qui le rend incontournable. A titre illustratif, les quelque 300 millions d’utilisateurs de Facebook en Europe représentent 25 % de son revenu mondial, et Google détient plus de 90 % du marché de la recherche dans la plupart des États membres de l’UE, ce qui est supérieur à sa part de marché aux États-Unis. Abandonner le marché européen ou maintenir des pratiques différentes en matière de données sur les marchés mondiaux n’est souvent pas commercialement viable pour ces entreprises, ce qui les conduit à suivre les normes européennes à l’échelle mondiale.
Les multinationales ne sont pas les seules à ressentir l’effet Bruxelles. Les gouvernements du monde entier se tournent eux aussi de plus en plus vers l’UE pour élaborer leurs propres règles en matière d’économie numérique. À ce jour, près de 120 pays ont adopté des lois sur la protection de la vie privée, qui pour la plupart ressemblent au régime de protection des données de l’UE. La liste comprend aussi bien de grandes économies et des leaders régionaux tels que le Brésil, le Japon, l’Afrique du Sud et la Corée du Sud, que des économies de taille moyenne comme la Colombie et la Thaïlande. Manquent au tableau les Etats-Unis, jusqu’ici réticents à imiter l’Europe, alors même que les géants technologiques dont le siège est américain admettent que la dynamique mondiale a tourné en faveur de l’Europe.
Aussi, le fondateur et directeur général de Facebook, Mark Zuckerberg, a-t-il exhorté le gouvernement américain à adopter une loi fédérale complète sur la protection de la vie privée, à l’instar de celle de l’UE. « La nouvelle réglementation sur la vie privée aux États-Unis et dans le monde entier devrait s’appuyer sur les protections offertes par le RGPD », affirmait le patron du célèbre réseau social. Cette adhésion de l’industrie laisse penser que les décideurs politiques américains ne pourront peut-être pas défendre longtemps leur exception en matière de protection des données – d’autant moins que leurs propres entreprises suivent les règles adoptées en Europe.
Si les techno-libertariens américains se heurtent désormais aux limites de leur modèle, l’autoritarisme numérique chinois n’est pas plus enviable. Aucune de ces deux approches n’est susceptible de l’emporter dans la bataille des idées sur la gouvernance numérique mondiale. Au contraire, le recours par la Chine aux données comme outil de contrôle social et de surveillance étatique sert de repoussoir. Il contribue à faire reconnaître que le modèle réglementaire européen protège le mieux l’intérêt public, modère la puissance des entreprises et préserve les structures et institutions démocratiques.
Le modèle européen, alternative aux impasses américaine et chinoise
L’Europe prend de plus en plus conscience de sa capacité à façonner l’environnement réglementaire mondial, ce qui renforce ses ambitions. Le RGPD ne sera pas la dernière innovation réglementaire européenne à s’imposer à l’international. La directive sur les services numériques pourra sans doute étendre durablement l’influence de l’Union dans le monde.
Nombreux sont les domaines où le besoin s’en fait sentir. Parmi les sujets dont s’inquiètent les Européens, mais qui ont une valeur universelle, citons les fake news ; les interférences électorales ; la course effrénée aux technologies d’intelligence artificielle, et notamment la reconnaissance faciale… l
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Personne ne sait quelle tournure prendra la pandémie ou si les récentes augmentations de prix seront transitoires, ce qui signifie que les prévisions économiques sont devenues encore plus hasardeuses que jamais. Néanmoins, certaines tendances doivent être surveillées de plus près que d’autres, et certaines politiques doivent être modifiées quoi qu’il arrive.
Déchirés entre les craintes inflationnistes et la peur de la déflation, les banquiers centraux des principales économies avancées adoptent une approche attentiste potentiellement coûteuse. Seule une refonte progressive de leurs outils et de leurs objectifs peut les aider à jouer un rôle post-pandémique socialement utile.
Bien que les États-Unis soient depuis longtemps à la pointe de la technologie, la Chine constitue un défi de taille dans des domaines clés. Mais, en fin de compte, l’équilibre des forces sera déterminé non pas par le développement technologique, mais par la diplomatie et les choix stratégiques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Sur plus de 10 000 espèces d’oiseaux, près d’une sur sept est actuellement menacée d’extinction. Le sort des oiseaux, qu’il s’agisse d’individus sauvages ou d’animaux de compagnie, serait plus difficile à ignorer si davantage de personnes comprenaient à quel point ils sont intelligents et complexes.
Historiquement, les succès comme la Conférence de Bretton Woods de 1944 sont beaucoup plus rares que les rassemblements internationaux qui produisent soit de l’inaction, soit des récriminations. La clé est de se concentrer sur ce qui peut être mesuré, plutôt que sur les personnes à blâmer.
La position de l’Inde sur le charbon lors de la récente conférence sur le changement climatique (COP26) a suscité de vives critiques, mais les économies occidentales les plus riches n’ont pas fait grand-chose pour aider la transition écologique des pays en développement. L’Inde, concernée par les conséquences du réchauffement, fera un effort de bonne foi pour contribuer à éviter la catastrophe climatique, mais seulement dans les limites de ce qu’elle peut faire.
L’ère de la « non-paix »Migrants rassemblés à l'intérieur de la zone tampon de la frontière Turquie-Grèce, à Pazarkule, dans le district d'Edirne, le 20 février 2020.
Les récentes tragédies migratoires dans la Manche et aux frontières occidentales de la Biélorussie montrent à quel point les civils sont devenus des armes involontaires dans une nouvelle ère de conflits perpétuels. Les gouvernements se rendant coupables de mauvais comportements sous couvert d’hypocrisie et de déni plausible, une course « vers le fond » est déjà en cours.
La fin du consensus économiqueLa présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen lors de laConférence de presse sur la réponse de l'Union européenne à la crise du coronavirus, à Bruxelles, le15 avril 2020.
Alors que le choc de la pandémie de Covid-19 a initialement suscité l’unité et la convergence en Europe, la phase actuelle de la crise est beaucoup plus délicate sur le plan économique et politique. Si elle est mal gérée, elle peut rouvrir de vieilles blessures et briser la légitimité nouvellement acquise des décideurs politiques.
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Lorsqu’on parle de « guerre technologique » aujourd’hui, c’est souvent pour décrire la lutte pour la domination numérique entre deux puissances seulement : la Chine et les États-Unis. Les États-Unis abritent les entreprises technologiques les plus puissantes et les plus rentables du monde, aux premiers rangs desquels figurent Apple, Amazon, Google, Facebook et Microsoft – entreprises dont la valeur marchande combinée dépasse les 5 000 milliards de dollars. La Chine possède le titan des télécommunications Huawei, le géant de l’Internet et des jeux Tencent, et le plus grand détaillant de commerce électronique au monde, Alibaba. Sans son propre moteur de recherche qui rivaliserait avec Google, ni sa plateforme de médias sociaux comparable à Facebook, l’Europe donne l’air d’être restée en marge de l’économie numérique. Pourtant, c’est plutôt le contraire qui est vrai.
Le plus souvent, c’est l’Union européenne qui fixe les règles selon lesquelles opèrent les multinationales technologiques. Par le biais de l’antitrust et de la concurrence, l’Union européenne contrôle le comportement des géants technologiques sur le marché, même lorsque leurs autorités de régulation nationales les laissent sans contrainte. Par exemple, entre 2017 et 2019, l’UE a infligé à Google près de 10 milliards de dollars d’amendes pour ses pratiques anticoncurrentielles.
En outre, les règlements de l’UE déterminent souvent comment les grandes entreprises technologiques recueillent, traitent, stockent et monétisent les données personnelles. Par exemple, Facebook, Google et Microsoft ont tous trois adopté une politique globale de protection de la vie privée, qui reflète le règlement européen sur la protection des données (RGPD). De même, l’Europe a influencé le contenu que les entreprises autorisent sur leurs plateformes. Facebook, Twitter et YouTube suivent la définition de l’UE des discours haineux lorsqu’ils décident du contenu à retirer de leurs plateformes, plutôt que de se laisser guider par les protections du premier amendement américain sur la liberté d’expression.
Pourquoi ces puissantes entreprises se soumettent-elles à la volonté des régulateurs européens et conçoivent leurs produits et services en conséquence ? La réponse se trouve dans ce que j’ai appelé « l’effet Bruxelles ». Parce que l’Europe est l’un des marchés de consommation les plus importants et les plus riches du monde, les multinationales acceptent que le respect des règles européennes soit le prix à payer pour y faire des affaires. Et pour éviter les coûts liés à la mise en conformité avec de multiples régimes réglementaires, elles étendent souvent ces règles à leurs activités à l’échelle mondiale. Cette dynamique permet à l’UE d’exercer une influence passive mais profonde sur le comportement des entreprises, transformant ainsi les marchés mondiaux.
L’effet Bruxelles déborde des frontières européennes
Si l’influence de Bruxelles ne se limite pas au domaine numérique (l’UE exerce un pouvoir similaire dans de nombreux autres domaines allant de la protection de l’environnement à la santé et à la sécurité des consommateurs), le poids réglementaire de l’UE est particulièrement pertinent dans l’économie des données. La raison ? L’importance du marché européen pour les entreprises axées sur les données, qui le rend incontournable. A titre illustratif, les quelque 300 millions d’utilisateurs de Facebook en Europe représentent 25 % de son revenu mondial, et Google détient plus de 90 % du marché de la recherche dans la plupart des États membres de l’UE, ce qui est supérieur à sa part de marché aux États-Unis. Abandonner le marché européen ou maintenir des pratiques différentes en matière de données sur les marchés mondiaux n’est souvent pas commercialement viable pour ces entreprises, ce qui les conduit à suivre les normes européennes à l’échelle mondiale.
Les multinationales ne sont pas les seules à ressentir l’effet Bruxelles. Les gouvernements du monde entier se tournent eux aussi de plus en plus vers l’UE pour élaborer leurs propres règles en matière d’économie numérique. À ce jour, près de 120 pays ont adopté des lois sur la protection de la vie privée, qui pour la plupart ressemblent au régime de protection des données de l’UE. La liste comprend aussi bien de grandes économies et des leaders régionaux tels que le Brésil, le Japon, l’Afrique du Sud et la Corée du Sud, que des économies de taille moyenne comme la Colombie et la Thaïlande. Manquent au tableau les Etats-Unis, jusqu’ici réticents à imiter l’Europe, alors même que les géants technologiques dont le siège est américain admettent que la dynamique mondiale a tourné en faveur de l’Europe.
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Aussi, le fondateur et directeur général de Facebook, Mark Zuckerberg, a-t-il exhorté le gouvernement américain à adopter une loi fédérale complète sur la protection de la vie privée, à l’instar de celle de l’UE. « La nouvelle réglementation sur la vie privée aux États-Unis et dans le monde entier devrait s’appuyer sur les protections offertes par le RGPD », affirmait le patron du célèbre réseau social. Cette adhésion de l’industrie laisse penser que les décideurs politiques américains ne pourront peut-être pas défendre longtemps leur exception en matière de protection des données – d’autant moins que leurs propres entreprises suivent les règles adoptées en Europe.
Si les techno-libertariens américains se heurtent désormais aux limites de leur modèle, l’autoritarisme numérique chinois n’est pas plus enviable. Aucune de ces deux approches n’est susceptible de l’emporter dans la bataille des idées sur la gouvernance numérique mondiale. Au contraire, le recours par la Chine aux données comme outil de contrôle social et de surveillance étatique sert de repoussoir. Il contribue à faire reconnaître que le modèle réglementaire européen protège le mieux l’intérêt public, modère la puissance des entreprises et préserve les structures et institutions démocratiques.
Le modèle européen, alternative aux impasses américaine et chinoise
L’Europe prend de plus en plus conscience de sa capacité à façonner l’environnement réglementaire mondial, ce qui renforce ses ambitions. Le RGPD ne sera pas la dernière innovation réglementaire européenne à s’imposer à l’international. La directive sur les services numériques pourra sans doute étendre durablement l’influence de l’Union dans le monde.
Nombreux sont les domaines où le besoin s’en fait sentir. Parmi les sujets dont s’inquiètent les Européens, mais qui ont une valeur universelle, citons les fake news ; les interférences électorales ; la course effrénée aux technologies d’intelligence artificielle, et notamment la reconnaissance faciale… l